Le loup, animal emblématique des écosystèmes européens, voit son statut de protection affaibli. Le 3 décembre 2024, les signataires de la Convention de Berne, un traité clé pour la protection de la faune sauvage, ont opté pour un déclassement de son statut, faisant passer l’espèce de « strictement protégée » à « protégée ». Cette décision, prise sous une forte pression des éleveurs, soulève des débats houleux entre défenseurs de la biodiversité et partisans d’une régulation facilitée.
Sous pression, un déclassement acté
Réunis à Strasbourg, les 49 États membres de la Convention de Berne ont validé une proposition de l’Union européenne datant de 2023. L’objectif affiché est de répondre aux demandes des éleveurs, exaspérés par les attaques sur leurs troupeaux, tout en assurant une protection encadrée du loup. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est réjouie de cette décision, saluant un compromis « équilibré » entre préservation des écosystèmes et sauvegarde des activités rurales.
Mais la mesure n’a pas fait l’unanimité. Cinq États, dont le Royaume-Uni et Monaco, ont exprimé leur opposition. Ces pays, soutenus par des organisations écologistes, dénoncent un choix précipité et peu soucieux des recommandations scientifiques. La Large Carnivore Initiative for Europe, un groupe d’experts de l’Union internationale pour la conservation de la nature, a souligné dans une note que l’espèce n’est toujours pas dans un état de conservation favorable.
Un symbole en danger
Le loup, exterminé au début du XXe siècle dans de nombreux pays, a connu un retour progressif mais fragile. Grâce aux efforts de conservation menés ces dernières décennies, sa population européenne est estimée à 20 300 individus, avec une croissance significative en France, où l’on recense environ 1 003 loups en 2023. Mais cette réussite est loin de signifier que l’espèce est hors de danger.
France Nature Environnement rappelle que dans seulement 18 des 39 régions biogéographiques de l’Union européenne, le loup bénéficie d’un statut de conservation favorable. Pour Nathan Horrenberger, de l’association Humanité et biodiversité, cette décision risque d’avoir des effets contre-productifs. « Les tirs désorganisent les meutes, créent des individus solitaires et augmentent les attaques sur les troupeaux », explique-t-il. 20 % des loups disparaissent chaque année en France, sans que cela n’ait permis de réduire les conflits.
Un impact limité en france, mais une symbolique forte
En France, le déclassement ne devrait pas bouleverser les pratiques actuelles. Paris autorise déjà des tirs de loups sous dérogation, dans des conditions encadrées, pour protéger les troupeaux. Mais cette décision européenne envoie un signal inquiétant. Elle pourrait encourager les destructions illégales, déjà en hausse dans plusieurs régions.
Pour Jean-David Abel, chargé du dossier loup à France Nature Environnement, ce déclassement est une rupture majeure dans la gestion de la biodiversité. « La Convention de Berne a toujours été un modèle d’approche scientifique pour la protection des espèces. Là, on sacrifie ces principes pour des intérêts politiques », déplore-t-il.
Un précédent dangereux pour d’autres espèces
Cette décision fait craindre des dérives pour d’autres espèces protégées. Les associations environnementales redoutent qu’elle ouvre la voie à une réduction de la protection d’animaux comme l’ours ou le lynx, souvent en conflit avec les activités humaines. La Confédération paysanne, de son côté, alerte sur les fausses promesses de cette décision. « Faire croire qu’abattre 200 loups au hasard protégera les troupeaux est irresponsable », affirme un porte-parole.
Le débat ne concerne plus uniquement le loup : il reflète un changement de paradigme dans la gestion des conflits homme-nature. Les choix politiques semblent de plus en plus guidés par des groupes de pression, au détriment des écosystèmes et des recommandations scientifiques.
Coexistence ou affrontement : quel avenir pour la biodiversité ?
La décision sur le loup est le symptôme d’un malaise profond dans les relations entre les sociétés humaines et la faune sauvage. Si les populations de loups sont en hausse, elles restent fragiles, et les défis liés à la coexistence ne sont pas près de disparaître.
Face aux tensions croissantes entre activités agricoles et conservation de la biodiversité, une approche basée sur la concertation et la science semble indispensable. Les solutions existent : renforcement des dispositifs de protection des troupeaux, indemnisations adaptées pour les éleveurs et meilleure éducation à la coexistence avec les espèces sauvages. Mais elles nécessitent une volonté politique à long terme, bien loin des décisions dictées par l’urgence.
Au-delà de la polémique, la question qui demeure est celle de notre capacité à bâtir un avenir où la biodiversité ne sera plus un obstacle, mais une richesse partagée.